Eau et citoyenneté : repenser la gestion des milieux aquatiques

Le 30 novembre dernier, les porte-paroles des groupes citoyens impliqués dans la création d’une instance citoyenne au sein de Reyssouze & Affluents, présentaient leurs propositions lors de l’évènement « Citoyens pour nos rivières ». Cette présentation était suivie d’une table ronde sur la question des enjeux de la gouvernance de l’eau. 

Les invités

Aller au-delà de la concertation réglemantaire

V. DUBOIS : Mme Blatrix, vous preniez des notes durant la présentation des résultats de la concertation citoyenne, pourriez-vous nous partager vos impressions ?

C. BLATRIX: Il y a plusieurs points que j’ai trouvé intéressants dans la démarche de concertation citoyenne menée par le syndicat Reyssouze et Affluents :

  • Il s’agit d’une démarche volontaire qui va au-delà de la concertation règlementaire.
  • C’est bien, de mon point de vue, d’avoir pris le temps de réfléchir au « design » de la future instance citoyenne. Il faut du temps pour ça.
  • Il y a eu un souci de ne pas faire doublon avec les instances déjà existantes et la question « quelle est la valeur ajoutée de cette instance ? » s’est posée, ce qui est très pertinent.
  • Il y a eu un souci de « donner un écho » à ce groupe en se demandant quelles seraient les retombées pour les habitants. Il faut poursuivre cela.

Il y a trois aspects/idées qui peuvent servir pour la suite :

  • Le mot « citoyen » est un peu à la mode, on l’entend et on le voit partout, mais il peut prêter à confusion : l’emploie-t-on au sens règlementaire (qui dans ce cas exclut les étrangers et les personnes mineures) ou bien au sens « civique », dans un registre plus moral ? Il faut peut-être utiliser un autre mot.
  • Vous vous êtes bien questionnés sur les objectifs des décideurs et des membres du groupe de concertation, il faudra poursuivre cette réflexion en définissant maintenant des critères de réussite et d’atteinte de ces objectifs. On pourrait se poser la question « On aura réussi si dans 2 ans… »
  • Il est important de rendre lisible l’offre plus globale de participation citoyenne sur le bassin versant, en incluant les démarches règlementaires, car celles-ci sont peu compréhensibles pour les habitants et il est important qu’ils puissent s’en saisir. Il y a de multiples façons de s’informer et de participer sur les projets qui impactent l’environnement : enquêtes publiques, consultations publiques, débats publics…

 

Habitante : Je suis contente de voir que les citoyens s’impliquent sur ces sujets. Je suis moi-même dans un conseil citoyen.

Habitant : Les personnes qui ont un peu de terrain pourraient éventuellement aménager des mares pour retenir l’eau pour une meilleure gestion des inondations. Il serait intéressant de recréer des zones humides.

Des sujets complexes pour les citoyens

V. DUBOIS : M. Alban, en tant que représentant de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, que pensez-vous de ces politiques d’infiltration de l’eau, est-ce qu’aménager des mares est la bonne chose à faire ?

N. ALBAN : L’eau est un sujet très complexe, elle fonctionne en cycle et l’eau de la pluie est la même que celle de nos rivières, qu’on boit, de nos océans… On travaille sur tout un bassin versant et administrativement c’est compliqué car l’eau ne s’arrête par aux limites d’un département ni d’une commune. C’est en plus très compliqué techniquement, donc le sujet peut être rebutant pour des citoyens.

V. DUBOIS: M. Datry vous qui êtes expert écologue, que pensez-vous de la poussée de « l’hydrologie régénérative » ?

T. DATRY: J’aimerais d’abord rebondir sur les propos de M. Alban qui soulignait la complexité administrative de la gestion de l’eau en y ajoutant qu’il y a actuellement une remise en question des cartographies des cours d’eau (qui a fait beaucoup de bruit en février 2024) : leurs limites peuvent être différentes selon les départements. Par exemple les fossés en lien avec un cours d’eau vont être cartographiés comme des cours d’eau dans un département, et dans un autre ils seront considérés comme des fossés.

L’hydrologie régénérative est à la mode, il est vrai qu’on en parle beaucoup. Je ne suis pas expert de cette approche en particulier, mais il me semble que si l’objectif est de retenir l’eau et de s’inspirer de la nature (« solutions basées sur la nature ») alors c’est plutôt une bonne chose.

B. DAUJAT: J’ajouterais que même si ces sujets sont compliqués, il ne faut pas abandonner quand on n’a pas eu la participation souhaitée et il faut se donner du temps. Nous avons parlé tout à l’heure du terme « citoyen » et il est vrai qu’il est important d’associer les « citoyens » au sens large : propriétaires, habitants éloignés des cours d’eau, riverains, élus, tous les « vivants du territoire » en quelque sorte. Et ce, en plus des processus règlementaires.

Il faut que ceux et celles qui s’intéressent à la rivière ne soient plus seulement ceux et celles qui sont directement impacté(e)s par les inondations. Il faut informer avec différents formats sur ces sujets complexes.

Mieux associer aux prises de décisions

V. DUBOIS: Aujourd’hui il y a un non seulement un nombre important de personnes de plus en plus préoccupées de l’impact anthropique sur l’environnement, mais aussi une demande croissante de la population de mieux associer les habitants aux prises de décisions sur ces sujets. Comment accompagner cela ?

N. ALBAN: Notre but à l’Agence de l’Eau est de restaurer le cycle de l’eau d’un point de vue qualitatif, quantitatif et richesse de la biodiversité et des écosystèmes. La population française finance nos actions car vous payez une taxe « GEMAPI » (gestion de l’eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations) dans votre facture d’eau. Cet argent est redistribué pour des projets de restauration, d’économies d’eau et/ou de concertation citoyenne et multi-acteurs.

Les projets de restauration sont souvent bloqués et/ou remis en question si les usagers sont bousculés. La participation citoyenne doit viser à associer ces usagers et personnes concernées assez en amont pour définir ensemble un projet qui répondent à leurs besoins. Ils doivent participer concrètement à la prise de décision.

T. DATRY: Les rivières ont été domestiquées depuis très longtemps, les populations se sont toujours installées à côté ou dans leur lit. Faire le « travail inverse » sera très coûteux et très long. Un attachement sentimental s’est développé pour certains ouvrages historiques comme les moulins, des canaux, et il est difficile de les retirer pour la continuité écologique…

Mes sujets d’étude sont les cours d’eau intermittents. Ils sont aussi mal compris par certains habitants et/ou pêcheurs qui s’inquiètent des assecs. Il faut savoir qu’il existe des assecs dus à des sécheresses, et d’autres assecs qui font partie du fonctionnement naturel de certains cours d’eau. Les espèces de ces cours d’eau qui s’assèchent naturellement ont développé une adaptation et le vivent très bien.

Sur ces cours d’eau intermittents nous avons peu de données, c’est pourquoi nous faisons appel à la science citoyenne, par le biais d’une application « Dry Rivers »Cette application permet de prendre des photos pour alimenter une base de données européenne qui permettra ensuite de modéliser spatialement ces cours d’eau, avec leur débit, en fonction de différents scénarios climatiques. L’application repose sur 6 000 points d’observation, et par exemple le syndicat SR3A se sert de cet outil pour alerter la préfecture en cas de baisse alarmante des débits.

Ne pas opposer participation réglementaire et participation volontaire

DUBOIS: Mme Blatrix vous parliez tout à l’heure des dispositifs règlementaires de participation. Il est vrai qu’ils ne sont pas toujours compréhensibles pour les citoyens/habitants et certains d’entre eux s’en détournent ou ressentent de plus en plus de défiance vis-à-vis de ces modes de participation…

C. BLATRIX : Il existe aujourd’hui une profusion de dispositifs règlementaires et il faudrait que les citoyens s’en saisissent. Nous pouvons citer les exemples des consultations sur les SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux qui déterminent les politiques et actions de gestion des cours d’eau à l’échelle d’un grand bassin versant), le débat public sur le barrage sur le Rhône, sur l’installation de centrales, avec des problématiques de réchauffement de l’eau rejetée dans le milieu, etc.

A mon avis il ne faut pas opposer les formes de participation « obligatoires » aux formes de participation « volontaires », mais c’est l’ensemble global de ces démarches qu’il faut réfléchir. Il faut articuler la démocratie participative avec la société civile organisée (associations, conseils citoyens, conseils de développement…) et avec les « mini publics » (panels) qui se multiplient. 

Il faut rester également vigilants au droit à la participation dans le champ environnemental qui est peu à peu détricoté : les seuils de saisine obligatoires de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) sont relevés, la surface minimum et le montant des projets devant être soumis à une concertation/consultation augmentent et donc la règlementation est de moins en moins contraignante.

Une habitante : C’est bien que n’importe qui puisse s’impliquer dans cette concertation, même les personnes qui sont déjà dans une association. Les participants de l’instance qui sera créée pourront diffuser leur travail à leur entourage, il y aura une sorte de « ruissellement » de cette concertation. Je pense que la concertation sera réussie si près de chez moi je comprends pourquoi on reméandre la Reyssouze, ou si je peux me prononcer sur ces choix techniques.

Un habitant : Dans ces processus il faut être prêt(e) à changer de point de vue.

V. DUBOIS: A notre époque on dirait qu’il faut défendre « jusqu’à la mort » son point de vue, mais c’est très agréable de changer d’avis aussi ! Il faut essayer !

Un membre du groupe citoyen : La question est : « Comment mobiliser et pousser à l’action ? ». Il y a des actions collectives qui aboutissent à des résultats ! Par exemple la concertation et l’implication des associations et d’experts a permis de stopper le projet de barrage hydroélectrique sur le Rhône cet été (projet Rhônergia).

V. DUBOIS : Faut-il donner une identité juridique aux rivières ? Aux « vivants » autres que les humains ?

DATRY: Ces questions sont de plus en plus soulevées, en Nouvelle-Zélande, à Strasbourg, j’ai des collègues de différentes disciplines qui se penchent dessus en sociologie, écologie, sciences politiques… Des séminaires se développent un peu partout.

BLATRIX: Donner des droits à la Nature ne va pas forcément résoudre les problématiques d’impacts et de pollutions. Le principal problème du Droit de l’Environnement c’est qu’il n’est pas appliqué !

Expérimenter et mesurer les résultats

DUBOIS: Quelle est la plus-value, ou valeur ajoutée de la participation dans la gestion des milieux aquatiques et la gestion de l’eau ?

ALBAN: L’agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse finance des projets participatifs car nous avons maintenant la certitude que ce sont ainsi de meilleurs projets, plus adaptés aux territoires. L’écoute des besoins et la capitalisation des différentes connaissances les améliore. Les projets doivent se nourrir des usages existants. Les dispositifs règlementaires sont peu compréhensibles pour les habitants, mais certaines démarches expérimentales fonctionnent très bien et aboutissent à des résultats très satisfaisants, comme par exemple la démarche Eau futurE portée par la Métropole de Lyon. Cette démarche a touché 8 000 personnes et a permis d’aboutir à une proposition de tarification sociale et environnementale de l’eau potable.

V. DUBOIS: M. Daujat, vous qui êtes élu au syndicat Reyssouze et Affluents, à quel moment jugerez-vous que l’instance citoyenne mise en œuvre sera une réussite ?

B. DAUJAT: Je pense qu’il faudra déjà la condition préalable d’avoir / de nous donner la capacité de mettre en œuvre nos projets au sein du syndicat. Ensuite, on aura réussi si :

  • On articule l’instance avec les démarches existantes règlementaires,
  • Il y a un impact sur les projets menés par le syndicat,
  • Il y a des apprentissages, des nouvelles connaissances,
  • Nous avons un nombre important de participants / de volontaires pour participer,
  • Le syndicat conserve une culture d’association des citoyens dans sa gouvernance,
  • Nous n’alimentons pas la dépolitisation des habitants et l’individualisation.

T. DATRY: J’étais en train de penser que des similitudes existent entre un processus de concertation et un projet de restauration :

  • Pour qu’une restauration fonctionne il faut produire un bon « état initial », même chose pour la concertation : il faut connaître ce qui existe déjà,
  • Il faut se fixer des objectifs dans les deux cas,
  • Il faut un suivi dans le temps dans les deux cas.

N. ALBAN: Au début on nous a demandé pourquoi on se mettait à faire du théâtre, à faire des évènements festifs en bord de rivière, la concertation citoyenne ne semblait pas sérieuse. Mais il faut se rendre compte (et rendre compte !) de toute la méthode qu’il y a derrière, et du cheminement qui est rendu possible grâce à des évènements qui semblent juste « ludiques ». Nous avons besoin de nous rencontrer et de nous réapproprier des espaces.

Fin de la table ronde

DUBOIS: Ce sera le mot de la fin, merci pour vos échanges riches ! Je laisse M. Favier, président du syndicat Reyssouze et Affluents clôturer cette après-midi.

J.-L. FAVIER : Je voudrais remercier l’ensemble des intervenants pour leurs éclairages sur ce sujet complexe, ainsi que l’équipe du syndicat qui a organisé cet évènement. Je remercie également les citoyens qui se sont impliqués dans la concertation et tous les participants de ce soir. Merci au cabinet Lisode qui a appuyé la concertation au sein du syndicat, et au Théâtre de Bourg-en-Bresse qui nous accueille.

Je retiendrai de cette soirée l’importance de la collaboration de l’ensemble des acteurs. Il faut poursuivre ce travail pour une gouvernance plus inclusive pour améliorer la gestion de nos rivières dans le futur.

 

Evènement et projet soutenu par l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse. Compte-rendu rédigé par Emmanuelle ESPUCHE du cabinet LISODE. 

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